Compagnie Générale Transatlantique du Spectacle






I.D.H.E.C. 68 - 72








"Le peuple des Ephésiens
mériterait d'être pendu, lui qui a
chassé Hermodore, l'homme le plus
valeureux, en disant: "Qu'aucun homme
parmi nous ne soit le plus valeureux."
( Héraclite )



                  La normalisation à l'IDHEC n'a pour le moment ni échoué, ni réussi. Si le noyau radical qui, après 1968, s'était véritablement imposé dans l'institution, l'a bien quittée en 70, son intervention en mai-juin 72 n'est certes pas étrangère au fait que tous les étudiants de la promotion sortante ont, d'ores et déjà, leur double diplôme en poche, alors que les éléments les plus troubles de cette promotion n'ont même pas terminé leur film de fin d'études. Et si les manoeuvres de l'Administration ont bien réussi à creuser un fossé entre ces deux promotions et les gens qui entrent présentement dans leur deuxième année d'études, elle n'a pas réussi à achever la séparation.

               VOUS QUI PASSEZ LE CONCOURS D'ENTREE 1972, vous êtes normalement destinés à constituer la promotion de la reprise en mains. Un programme pédagogique vous attend déjà, dans lequel vous devrez faire preuve d'un esprit positif. Vos connaissances seront contrôlées (?), et vos absences comptabilisées. Vous n'êtes pas censés avoir de contact avec les promotions sorties, et la promotion en place s'est montrée suffisamment apathique pendant l'année 7l-72 pour autoriser tous les espoirs. Votre carrière est toute tracée, et si Dieu, l'Etat et la Révolution Pacifique le veulent, vous finirez petits cadres à la TV.

                L'objectif de ce texte est de vous entretenir de certains événements dont on ne vous parlera autrement pas, de vous indiquer comment ils se sont et ont été produits, et par quels biais vous pouvez en retrouver le mode d'emploi.




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                Tout commença avec Vertov (ou plutôt, Vertov n'est que le plus célèbre parmi ceux qui commencèrent). Mais Vertov n'était qu'une scorie dans la montée du stalinisme. On retrouvera plus tard son frère avec Jean Vigo, pas pour longtemps. C'étaient les Années Sombres, celles dont personne n'aime parler.

                Un peu avant 68 s'était créée à Paris une coopérative de production underground, la COOP. Elle eut le temps d'effectuer des projections un peu partout en france, surtout de ses propres films, puis décida sa dissolution après Mai 68. Des individus qui la composaient, nous retiendrons surtout JP Bouyxou, aujourd'hui marchand de salades à Actuel, et René Reffé et Etienne O'Leary, aujourd'hui hors-circuit. Reffé joua un certain rôle dans le sabotage du soi-disant "collectif du Cinéma Parallèle", fin 68: ce collectif, dont certains des membres se sont récemment recollés sous le titre de "Jeune Cinéma" (Noël Burch, etc), se proposait de vendre non seulement de la politique, mais aussi de la poésie. Une projection standard de la COOP s'effectuait normalement en non-stop, pendant des heures. Certains films étaient munis d'une bande sonore spécifique, mais en général, la sonorisation était improvisée sur place, au moyen des instruments disponibles: du pipeau à la console de mixage, le principe étant que, si l'image et le son sont cohérents chacun pour soi, leurs rencontres vaudront de toute façon le coup.

                Ici nous importent surtout les films d'O'Leary: tournés en solo, au moyen d'une caméra mécanique légère, avec force superpositions et trafiquages de rythmes, ils constituaient essentiellement le compte-rendu d'un mode de vie. Après 68, ce mode de vie (gosse de riches + crise de conscience) devint radicalement impossible: O'Leary ne put franchir le pas et se décomposa peu à peu lamentablement: il n'apparaît pas très probable qu'il arrive aujourd'hui à se reconstituer. Il fut le seul porteur de la radicalité dans un regroupement d'esthètes dont l'un est marié à New-York et fait partie de la bande à Warhol (Michel Hodeir), et tel autre en taule en Italie pour drogue (Pierre Clementi).




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                En mai 68, l'IDHEC fut occupé, timidement, par ses élèves, lorsque le Comité d'Action de Censier-La Sorbonne, section Cinéma, menaça de l'occuper lui-même et de s'emparer du matériel. En fait, il apparut plus tard que cette menace n'était rien d'autre qu'une manipulation de l'AJS (qui à l'époque s'appelait encore la FER). Autant dire que les gens de l'IDHEC étaient encore moins révolutionnaires que les trotskystes. C'étaient pour la plupart, soit des artistes, droitiers avérés, soit des techniciens sérieux, petits chefs technocrato-syndicalistes, auto-proclamés révolutionnaires pour les besoins du moment. L'IDHEC possédait en cette époque une extension à Nanterre, le CEGA (Certificat d'Etudes Générales Audiovisuelles) vaguement section préparatoire mais dépourvu de moyens de production; il n'y avait pratiquement pas de contact entre les étudiants impuissants ou anti-étudiants en puissance du CEGA, et les élèves de l'IDHEC. Pendant l'été 68, ce furent donc les élèves de l'IDHEC qui subtilisèrent le matériel, sous l'égide des trotskystes et avec la bénédiction du Syndicat (CGT): la collusion AJS-PC était déjà larvaire. Ils négocièrent la restitution de ce matériel contre une cogestion organisée autour d'un Bureau Pédagogique où eux et leurs amis étaient bien représentés, et contre le droit d'organiser eux-mêmes le concours de recrutement 68, qui n'avait pu se passer en mai pour cause de pseudo-occupation. Mis à part leurs visées réformistes qui les auraient de toute façon menés à la déconfiture, le concours qu'ils élaborèrent fut leur plus énorme erreur; ou, pour mieux dire, un énorme lapsus.

                Ces jeunes gens étaient, nous l'avons dit, des artistes ou des techniciens. Ils ne sortaient d'un système de cours magistraux avec horaires obligatoires que pour recopier sur pellicule des morceaux choisis; en dehors de cette scolastique, ils ne touchaient presque jamais au matériel, déliraient sur un mode de production déjà dépassé en son époque, et se sentaient brimés. Mais ce malaise-là ne figurait pas au programme de leurs organisations (quand ils en avaient). Ils révèrent de modernité. Le concours qu'ils élaborèrent (et qui est, à quelques détails près, celui-là même que vous allez passer) refléta cette incohérence: sélectif, certes, mais sélectionnant une bonne proportion de gens indésirés et indésirables. Il n'y avait pas, comme maintenant, de présélection: l'ensemble du concours se fit sous la forme de deux énormes stages de 3 jours, de 100 personnes chacun. Il n'y avait rien d'imposé pour l'enquête photo, rien de conseillé pour les montages photo et son. Rien d'étonnant dès lors à ce que ce piège présentât les allures d'une vaste "fête de la créativité", ni à ce que les individus sélectionnés présentassent en général de fortes capacités "créatrices" et auto-organisationnelles. Les conséquences s'en firent sentir très vite.

                La rentrée eut lieu en Janvier 69. Les entrants eurent droit à un speech inaugural par l'ensemble de l'organisation de co-gestion: il fut expliqué que la structure actuelle de l'IDHEC était une conquête de Mai, que nous avions bien de la chance d'être soutenus face à l'administration par le syndicat et la profession, et qu'on allait enfin pouvoir travailler sérieusement, professionnellement, en équipe et tout et tout. Là-dessus certains entrants répliquèrent qu'en tant qu'artistes, ils n'allaient pas se laisser faire comme ça par des révolutionnaires-bidon, d'autres se mirent à cracher à la fois sur les artistes et sur les co-gestionnaires cybernético-spectaculaires, léninistes de surcroît. Rien n'était réglé.

                S'ensuivirent plusieurs réunions des entrants, assistés d'élèves de la promotion précédente. On calcula les bourses, qui se révélèrent d'un maximum de 500 F par mois et par personne; les quelques maladroits qui demandèrent moins rectifièrent très vite. Puis, il apparut que 3 forces se constituaient: les artistes, les technico-politiciens (ici dénommés Technopol), et les "underground" ou "hippies". Quant à l'administration, elle était absente: le directeur d'alors, Tessonneau, écoeuré par le saccage de ses projets, en particulier le CEGA, se taisait; Mlle Nicolas, privée de son directeur, se taisait aussi. Et comme, selon les vicissitudes du combat, les artistes oscillaient d'un côté à l'autre, seule nous intéresse finalement l'opposition entre les "underground" et les technopols.

                Parmi les plus beaux fleurons de la Technopol, nous trouvons Chapuis, assez probablement pabliste, et qui se manifeste encore dans les couloirs de l'IDHEC. Et Glenne, AJS. Et Loiseleu de la SLON, d'apparition plus récente. Et quelques autres, dont l'avenir dira s'ils réapparaissent ou non. Tous ces gens sont opérateurs, et présentent donc de fortes tendances réificatrices. Leurs thèmes étaient, et sont toujours: le maintien de la valeur professionnelle du diplôme de l'IDHEC (qui n'existe que par la magouille, le lobby et le maffiatage); la qualification technique (qu'ils ne possèdent même pas au niveau parcellaire qu'ils s'attribuent: ils vont jusqu'à faire des erreurs de diaphragme, de même que les lectrices du Nouvel Obs oublient régulièrement leur pilule); et enfin le jargon pseudo-révolutionnaire gauchiste classique, démagogique. Comme ils aiment à le répéter: "Ce qui est, sera". Richard Copans, pro-chinois, et principal élaborateur réel du concours, devait se séparer assez vite de ce groupe, et réapparaîtra en 71-72. Daniel Isoppo, qui fut le principal représentant du groupe dans la promotion entrante, et délégué au Bureau Pédagogique, effectua toute sa scolarité dans l'orthodoxie, fit ensuite une magnifique cure, et n'a désormais aucun rapport avec ce qu'il fut à l'époque.

                En face, le groupe "underground", ainsi nommé parce que, tout au début, il avait dû choisir ce type de cinéma pour couper aux cycles d'esthétique (!) imposés en début d'année. Le bureau pédagogique eut en effet toutes les peines du monde à trouver quelqu'un qui pût en parler: et lorsque finalement il le trouva, c'était quelqu'un du "Cinéma Parallèle", qui fut tout bêtement négligé par le groupe, ainsi que Noël Burch qui repartit vexé: ce n'était que le premier d'une longue lignée, qui s'étendit jusqu'à Cloquet, entre autres. Exemples classiques de sabotage par débordement. La majeure partie du groupe venait du CEGA; certains étaient situs, tel autre warholien, tel autre ami d'O'Leary ou Living-Théatreux, d'autres militaient à Cinéthique. Le seul point d'accord de ces gens était que, de toute façon, ils se débrouilleraient bien mieux en faisant ce qu'ils voudraient qu'en se laissant faire n'importe quoi d'autre.

                Personne ne prenait le groupe au sérieux au début. Il fut même envisagé de les renvoyer, sous prétexte qu'"ils perdaient leur temps" (cet argument devait renaître en 71-72, à propos de certains de vos futurs condisciples). En fait, les diatribes contre la qualification professionnelle, la division du travail au sein de l'"équipe", la fonction spectaculaire-marchande des produits cinématographiques usuels, tout cela indisposait quelque peu, et surtout l'intangibilité de l'activité du groupe. Mais la première campagne de tournage de la promotion, en mars 69, démontra suffisamment la supériorité du groupe, et même dans le domaine cinématographique, pour qu'on le laisse tranquille. Une conclusion qui se vérifia souvent par la suite: ne cherchez jamais à vous justifier, plantez vos produits sur la table.

                Dans la lutte informe qui s'engagea alors, le plus grand ennemi du groupe fut finalement lui-même. Tout leur était pourtant donné, tant l'inorganisation était grande: n'importe qui entrait ou sortait de l'IDHEC à toute heure. Les couloirs et les salles de montage étaient peuplés de femmes, d'enfants, d'animaux et d'inconnu en tout genre. Sur les murs s'étendaient fresques collectives, messages personnels et textes théoriques, sans que les menaces de payer les dégâts sur les bourses soient jamais exécutées. Les engueulades à la limite du cassage de gueule étaient monnaie courante, et directement liées à la sexualité collective pourtant pas assez agressive, que le groupe dressait systématiquement contre les salonnards et le politburo. Il n'y avait pas de taxiphone, et tous les téléphones étaient libres d'accès et portaient jusqu'à Philadelphie. Aucune présence n'était obligatoire, et il n'y avait pas de cours (après avoir été réclamé et obtenu comme moniteur par le groupe, O'Leary lui-même fut rejeté; mais c'était là déjà un symptôme d'incohérence plus qu'une erreur). Le deuxième tournage collectif, en juillet 69, consacra l'effondrement du groupe sous ses propres contradictions & dissensions internes. Quelles qu'aient été son inconscience et son incohérence, il avait suffisamment sapé l'idéologie technopol, ouvert la voie au pseudo "Groupe de Recherche" de l'année suivante, et établi les bases d'une tradition du laisser-faire et des "groupes affinitaires". Sa plus grosse incapacité fut de ne pas s'être occupé du concours 69; un autre trait dominant de cette année-là avait été l'absence de l'administration, et les indécisions du Bureau Pédagogique. Tout cela allait changer.




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                Le concours 69, réalisé à la fin de l'année, présentait déjà une présélection: critique d'un film + entretien avec un jury. Tel malheureux se vit demander s'il accepterait de collaborer à un film de droite; et comme il ne répondit pas assez vite que "un film, c'est toujours un film", il fut éliminé. Simultanément, on changeait le directeur: Tessonneau partait aux Potasses d'Alsace, et Schlossberg prenait sa place. Enfin, pour donner un peu de constance au Bureau Pédagogique (bombardé "Conseil"), et contrôler les gauchistes en les satisfaisant, on nommait un Directeur Pédagogique président du Conseil Pédagogique: le communiste Louis Daquin. Tout cela aurait peut-être ramené le calme s'il n'y avait eu un événement imprévu: c'est un "hippie" qui fut élu délégué des élèves au Conseil Pédagogique, la représentante des technopols ne venant qu'en suppléante. Négligeant étourdiment la question du pouvoir, les gens de la promotion entrante se refusèrent à toute délégation. Un épisode comique est peut-être à la base de cet écoeurement ex abrupto: les technopols avaient tenté d'intoxiquer les élus du concours (convocation dans un appartement privé, etc); les hippies y vinrent aussi, et firent entrer de force les artistes, auparavant laissés à la porte: la soirée édificatrice s'acheva ainsi dans les intimes lessives.


                Les élèves avaient à se spécialiser en monteurs, opérateurs et réalisateurs; refusant de choisir, certains "hippies" se constituèrent donc en "Groupe de Recherche"; par le biais d'un texte "à toute personne concernée", ils formulèrent leurs principes et desiderata: le premier geste du nouveau directeur fut de rejeter cette demande comme "inacceptable". Le groupe fit alors projeter au Conseil un film élaboré discrètement l'année précédente; le Conseil fut impressionné, parla de film d'auteur alors que la réalisation était collective, Schlossberg recula, on transigea, et l'accord se fit. Le Groupe renonça à demander 800 F par semaine pour ses frais, et obtint tout le reste à condition qu'il se trouve un superviseur responsable devant la Direction: cet oiseau rare se présenta finalement sous les espèces de Claude Huhardeaux, mathématicien animateur, dont le soutien fut précieux. Le groupe obtint à chaque fois les moyens qu'il réclama, et n'eut pas à en rendre compte, non plus qu'à se livrer à des activités qui ne l'enchantassent point. Citons quelques textes:

                "... Nous ne distinguerons jamais moyens et buts; nos films, notre recherche, nos positions politiques, psycho-sociales, pédagogiques, etc etc etc, notre activité globale, etc, sont chacun indissolubles de chacun des autres. Donc les relations de toute catégorie se développant entre nous et avec des gens extérieurs à l'IDHEC ne seront en aucun cas soumises aux relations purement formelles (idéologiques) ressortissant de la pédagogie intra-IDHEC proprement dite. En particulier, nous aurons à envisager comme partie intégrante de la section Recherche la diffusion de nos produits (films, textes, nous-même, etc)...

                ... En tant que réalisateurs, les membres du groupe de recherche réaliseront également un film de fin d'année, dans le même cadre et avec le même budget que les autres réalisateurs. En fonction des propositions qui leur seront faites ou qu'ils feront, ils participeront ou non à la réalisation des films des autres élèves (...) ils approuvent totalement le texte affiché par leurs camarades monteurs et, de même qu'eux, posent comme condition préalable à leur collaboration à un film leur participation à tous les stades de l'élaboration et de la réalisation de ce film.

                ... Nous improvisons (=construisons) en permanence notre emploi du temps - si tant est que ce terme convienne. Nous n'avons donc nul besoin de moniteur permanent, et nous n'en voulons pas. Ceci ne signifie pas que nous désirons agir en isolés, mais que nous voulons être libres de rencontrer qui nous convient comme il nous convient.

                ... Autant que sur le phénomène "cinéma", la recherche doit porter sur le phénomène "groupe", autant que sur le figé et sur le stockable (films, textes, affiches, etc) l'accent doit être mis sur l'éphémère - par-là même irrécupérable, c'est à dire sur la transparence des rapports entre les membres du groupe et leurs ami(e)s, sur le refus de la division des tâches, de la hiérarchie, de l'identification, de la séparation entre la théorie et la pratique, sur l'attitude concertée vis-à-vis de l'extérieur, sur les actions pratiques à entreprendre au besoin à l'IDHEC ou ailleurs.

                ... Il y a maintenant des gens qui se flattent d'être auteurs de films, comme on l'était de romans. Leur retard sur les romanciers, c'est d'ignorer la décomposition et l'épuisement de l'expression individuelle dans notre temps, la fin des arts de la passivité. On entend louer leur sincérité parce qu'ils mettent en scène, avec plus de profondeur personnelle, les conventions dont ils sont faits. On entend parler de libération du cinéma. Mais que nous importe la libération d'un art de plus, à travers lequel Pierre, Jacques ou François pourront exprimer joyeusement leurs sentiments d'esclaves? L'unique entreprise intéressante, c'est la libération de la vie quotidienne, pas seulement dans les perspectives de l'histoire, mais pour nous et tout de suite. Ceci passe par le dépérissement des formes aliénées de la communication. Le cinéma est à détruire aussi."




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                Après l'éclatement des tentatives communautaires de l'année précédente, le GdR se situationnisa de plus en plus (sauf l'un d'eux, qui vira au mysticisme le plus éculé). Hors leur activité dans les milieux pro-situs, qui contribua à la décomposition des-dits milieux, leur activité principale à l'IDHEC se centra sur l'affinement de la théorie du spectacle, en particulier dans le domaine pédagogique, et sur le rapport aux moyens de production. Au centre de tout cela apparut bientôt une instance idéologique particulièrement gluante, infiltrée partout, la TECHNIQUE. Voici quelques extraits de leurs publications sur le sujet:

                " ... LA PROGRAMMATION TOTALE EST A LA FOIS UNE PROTECTION CONTRE L'IMPREVISIBLE, ET UNE PROVOCATION A L'IRRUPTION DE CET IMPREVISIBLE. Le couple plaisir/angoisse n'a pas fini de procréer de jolis masochistes...

                Pas question d'un enseignement au sens normal du terme; fondamentalement spectaculaire, il ne nous conduirait qu'à "combattre l'aliénation sous des formes aliénées" (Debord). Quiconque a un peu réfléchi à l'une des définitions possibles du spectacle ("rapport social entre des personnes, médiatisé par des images" Debord) s'apercevra immédiatement que les formules plus ou moins apparentées à la dynamique des groupes officielle sont tout autant à rejeter. Alors?

                La seule pédagogie acceptable que je conçois est celle qui 1°) lève le blocage 2°) remet en train le développement psycho-socio-somatique qui, à l'âge auquel on entre à l'IDHEC, est déjà sérieusement inhibé.

                "Néanmoins, sitôt la conduite reproduite quelquefois, on s'aperçoit qu'elle présente une double tendance vers la désarticulation et la réarticulation interne de ses éléments, et vers la généralisation ou la transposition active en présence de nouvelles données, sans relations directes avec les précédentes." (Jean Piaget, la psychologie de l'intelligence)

                Ce qu'on peut apprendre à l'IDHEC ne constitue "des armes pour se défendre" que pour autant que les élèves concernés aient des tendances suicidaires.

                Le passage de l'imaginaire à la réalisation n'implique pas nécessairement un développement important de ce qui est actuellement dénommé "appareil technique de pointe". Ce n'est pas un hasard si le développement technico-économique est devenu un système de forces autonome, et si le développement de nouveaux rapports sociaux n'est même pas envisagé. L'Utopie Technocratique tend essentiellement à fixer les rapports sociaux dans leur forme actuelle. C'est par la violence qu'il faudra la détourner.

                Les techniques résultent de découpages dans l'ensemble des actes possibles non pas arbitraires, nais bel et bien déterminés par les catégories déjà établies dans la production: tout ce qui était directement agi (=improvisé) s'est éloigné dans une programmation. Les secteurs encore prétendument artistiques purs sont des poches déjà en voie de résorption, et les hippies des imbéciles.

                Dans l'univers du discours, le regard ne rencontre que les mots et leur sens (rien ne manque aux commodités de la conservation).

                The medium is the mess. "


                Ainsi le concept de spectacle, élaboré par l'IS à partir d'une critique de l'art, et étendu à toutes les catégories de la vie quotidienne, vérifiait bien sûr son efficacité dans le domaine de l'organisation de la production. Sa liaison avec les théories de l'apprentissage et la pratique du détournement allait s'effectuer et se vérifier d'abord a-contrario au Pyla, et positivement ensuite dans les stages.




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                Cependant que le GDR prenait son vol, la promotion entrante se débattait dans une confusion où le Pouvoir était bien la seule chose à apparaître sans mélange. On leur annonçait le modernisme le plus clinquant (pas de cours, pas de professeurs, etc) et en même temps on leur disait: "Vous n'avez jamais fait de film; le mieux est d'en faire un tout de suite; écrivez un scénario". Il leur fallut, bien sûr, se constituer en équipes, avec pour seules options : postes fixes ou rotation des postes. Ils n'eurent donc que le choix de la sauce à laquelle ils seraient mangés. Dans la mesure où ils n'avaient pas reconquis pour eux-même le laisser-aller instauré à leur intention, celui-ci se retournait contre eux et dégénérait en permissivité répressive. Simultanément, on leur parlait de nettoyer définitivement l'IDHEC de ses "hippies", qu'un naïf avait même pris pour de simples squatters. "Tout ce que vous voulez, mais plus jamais ça". De l'ennui et de l'écoeurement où baignèrent ces tournages et leurs suites, où personne ne se reconnaissait, naquit le groupe "Métro".

                "... Le thème est défini par les modalités d'enregistrement... ce qui sera à dire sera ce que dira (ou ne dira pas) la pellicule impressionnée... progression, voire essais-erreurs... totale refonte au niveau du montage collectif... pas de moniteurs... pas de directeur de jeu... la présence d'un jury évaluateur, du type Conseil Pédagogique, est à exclure... démarrer le montage dès l'arrivée des premiers matériaux..."

                Ce paravent reproductif, d'un informe jamais atteint depuis, cachait tout simplement une alliance d'intérêts et de dégoûts. Si ce groupe bénéficia, d'entrée de jeu, de l'expérience des "hippies", notamment par la présence d'une redoublante, la lente retombée de 68, sa propre inexpérience et l'absence de bases autres que défensives l'empêchèrent de développer le noyau actif qui avait fondé l'existence du GdR : une pratique théorique opposée point par point à l'idéologie dominante, la prise du "pouvoir étudiant" n'en étant qu'un sous-produit inattendu. "Métro" se vit ainsi privé de toute virulence, et resta d'un bout à l'autre un exercice d'école.




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                Au printemps 70, l'administration considérait donc le GdR comme la part du feu. La politique du "On ne vous empêche pas de travailler, on va même jusqu'à vous représenter convenablement, alors, foutez-nous la paix" appliquée par le membre-du-GDR-délégué-de-sa-promotion, se révéla finalement une mauvaise politique. Comment espérer un quelconque renvoi d'ascenseur de la part de gens qui sont soit préoccupés de faire triompher leurs conceptions politico-esthétiques, soit inexistants et à la remorque des précédents ? La plupart des élèves de l'IDHEC, y-compris les technopols, était préoccupée de faire son petit tas, de réaliser le chef d'oeuvre qui lui vaudrait les offres des producteurs: de tourner son film de fin d'études. C'est bien entendu le moment que choisit l'administration pour lancer ses premières mesures répressives. Pour les analyser, nous allons descendre jusqu'au niveau budgétaire, qui a toujours été le noeud des tripatouillages à l'IDHEC, et sur lequel il vaut mieux être toujours le mieux informé possible.

                Chaque élève-réalisateur avait à tourner un film; chaque groupe avait droit à un film 35mm; le GDR, fort de 4 membres, allait donc avoir à tourner un film en 35mm (budget 30 000 F) et trois en 16mm (budget 14 000F). Aucun des membres du groupe n'avait envie de se traîner du matériel 35mm, trop encombrant; et une fille de la section montage avait envie de réaliser un film, probablement pré-MLF (en ce temps-là, les monteurs ne tournaient pas). Il fut donc proposé que tous les membres du GDR, plus cette fille, tournent en 16mm. Non seulement cet arrangement fut refusé par la direction, mais elle interdit même de tourner à un des membres du GdR qui avait eu la maladresse de déclarer aux Conseillers Pédagogiques que "ils ne comprenaient rien à rien". Bien entendu, cette interdiction ne fut jamais justifiée, personne hors du GdR ne réagit, et l'affaire en est restée là, n'attendant que d'être déterrée. L'expérience montrera plus tard que ce genre d'intimidation recule devant une simple exigence d'explications publiques. Quant au Conseil Pédagogique, son aplatissement devant une mesure qui violait aussi évidemment ses décisions antérieures lui valut d'être purement et simplement dissous l'année suivante. Par sa qualité de technostructure institutionnalisée, par les discussions publiques qu'il favorisait, par son absence de doctrine cohérente, il vaudrait peut-être la peine qu'on le ressuscite. Mais il faudrait alors lui donner la signature du compte en banque, ou, à tout le moins, des pouvoirs budgétaires réels, étendus et garantis.

                Toujours est-il que le GDR tourna finalement 2 films. Nous laissons volontairement de côté celui du con mystique, pratiquement exclu depuis longtemps, sinon pour signaler qu'il est parfois projeté aux festivals, et valut à son auteur un diplôme instantané. Comme quoi l'église mène à tout.

                Le second film, tourné un peu partout en france avec du matériel léger et des Fiat 850 louées par l'IDHEC, servit aussi à choisir le lieu de tournage du troisième; accessoirement, signalons que l'IDHEC le tient toujours enfermé dans ses coffres.

                Le troisième reprenait simplement le projet de dérive dans un labyrinthe élaboré par l'IS en 1959, et publié dans le numéro 4 de l'IS, avec les différences suivantes: pas question de construire le labyrinthe, la réalité est indéfiniment plus mouvante. Pas de "directeur de la dérive", et pas d'équipe technique: ceux qui ne savent pas se servir du matériel en profiteront pour apprendre. Le lieu originellement choisi était Paris, mais une fausse manoeuvre aboutit à prendre pour base une villa au bord de la mer, au Pyla. Le budget se répartit en 3000F de villa, 5000F de nourriture et divers, et le reste en pellicule. Rien d'autre n'était prévu, à part que l'on prévint des gens. L'inconcevable bordel qui s'ensuivit, bien que dû pour une bonne part aux conditions de séparation proprement invivables inhérentes a toute station balnéaire, liquida définitivement l'idéologie pro-situ chez bon nombre de participants. Assez curieusement, il faut citer ici un extrait d'une lettre de Jules Celma, qui commençait à se tailler une réputation de maître d'école non-directif:

                "Je vois très mal (ou alors c'est que je n'ai rien compris) une équipe de gars et de femmes se LAISSER ALLER à tout et à n'importe quoi, leurs fantasmes, leurs merdes, leur déstructuration et interposant à un moment donné une machine à filmer."

                Celma n'avait pas compris, en effet, qu'il n'y aurait pas de "moment donné" (et par qui?) pour "interposer" (?) une machine à filmer. Sur le terrain, il n'y eut pas de problèmes sérieux de ce genre: comme n'importe quoi, l'effroi que peut susciter une caméra dépend essentiellement de qui la manie, et pourquoi. L'expérience révéla aussi que des gens sans qualités peuvent fort bien se servir de matériel prétendument réservé aux professionnels. Du point de vue de la lutte contre le spectacle, et l'emploi de bulldozers contre le décor étant pratiquement exclu, il manqua au Pyla la base matérielle d'une reconsidération et d'un détournement des événements accomplis la veille. Sans cela, la dérive équipée matériellement ne put que retomber dans les chemins obligatoires et haïs du circuit touristique, qui n'en fut pas le plus meurtri.

                Au retour à Paris, le responsable du pyla était incapable de monter tout de suite le film, à la suite de l'éclatement des participants du Maroc à Amsterdam. Avec l'accord de l'administration, il en monta un autre; le cocktail explosif du deuxième membre du groupe se termina normalement, par un long feu. C'est alors que Schlossberg prit une mesure habituelle chez lui: il brisa tous les accords passés, boucla les deux films, et refusa les diplômes aux deux élèves en cause. Ceux-ci étant trop épuisés pour réagir, l'affaire en resta là pour le moment.

                Remarquons au passage que l'un des artistes, qui avait tenté sans succès de frayer avec le GDR, réalisa pour sa part un film sur une communauté, avec découpage préétabli et dialogues écrits, etc. Comme nombre de technopols, il eut son diplôme tout de suite, alors que les films ne furent terminés que bien plus tard, ou pas du tout. Soulignons aussi que les deux GDR étaient les seuls de la promotion à ne pas avoir dépassé le budget alloué: cette précaution élémentaire devait par la suite se révéler payante, quand on tenta de justifier le refus du diplôme par des médisances d'escroquerie.




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                Bien des mesures avaient été prises, en cette année 70. La promotion 68 allait sortir, la suivante était réduite (18 personnes seulement). Le bruit courait que l'IDHEC n'existait plus, ou allait fermer. Et en l'absence du Conseil Pédagogique, il n'y avait plus en face des élèves que le doublet spectaculaire Schlossberg/Daquin. Il fut alors décidé qu'il n'y aurait pas de recrutement cette année-là, afin de creuser encore le fossé entre les promotions maudites et les suivantes. En réaction à cette tentative de liquidation, une AG direction-élèves fut tenue, qui obligea l'IDHEC à lâcher du lest:

                - le permis de séjour fut porté à trois ans; il s'ensuivit une année supplémentaire de bourse, et un contact interpersonnel inéluctable entre la promotion 71, celle qui est encore dans les locaux, et quelques brebis galeuses.

                - la section réalisation fut supprimée, afin de "réaliser la polyvalence"; l'esthétique fut liquidée du même coup, et tout le monde put tourner. De plus, cette élimination ne laissait face à face que les technopols (en général opérateurs) et les glandeurs (en général monteurs); le prolétariat et son image antagoniste.

                - Daquin et Schlossberg s'opposant très violemment à toute résurgence du GdR, on monnaya la spécialisation obligatoire en monteurs ou opérateurs contre une allocation personnelle et hebdomadaire de pellicule pour travaux libres. Il s'ensuivit logiquement que les autres travaux devinrent d'autant plus forcés, et que le montant exact de l'allocation attribuée à chacun ne fut jamais exactement connu; d'après des comptes non contrôlables et parfois curieux qui furent communiqués par l'administration et affichés début 72, la disparité s'étendait de 300 à 4000 F pour quelques mois; la magouille était tellement entrée dans les moeurs que personne ne réagit.



                Et ainsi, l'année 70-71 s'écoula paisiblement, tout se réglant par entrevues personnelles avec la direction. Le groupe Métro fut prié de cesser sa dispersion anarchique de l'année précédente, et de revenir à un travail sérieux: il ne put qu'obtempérer. L'un des films condamnés du GdR sortit, parce que la direction fut émue d'une projection de Métro, et préféra désamorcer d'avance. A l'honneur des anciens du groupe Métro, il convient d'ajouter que, malgré toutes ces compromissions et noyés dans une mer de choucroute, ils ne travaillèrent jamais, et que la crise récente de mai-juin 72 résulta pour une bonne part de la réunion de certains d'entre eux.




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                En juillet 71 avait lieu à Grenoble une Rencontre Internationale Film et Jeunesse, à la Maison de la Culture. Ces "Rencontres", durant 12 jours, se composaient d'un festival de projections, avec discussions, et d'un stage d'initiation à la réalisation cinématographique, regroupant plus de 100 stagiaires. Pour fournir l'encadrement de ce stage, les organisateurs avaient fait appel aux écoles de cinéma. Ce n'est donc pas un hasard si certains des anti-professionnels de l'IDHEC, ex-Métro ou GdR, et seulement eux, débarquèrent à Grenoble, et que débuta une série d'opérations qui allait se poursuivre jusqu'en 72.

                Les gens du stage et du festival logeaient tous ensemble au Village Olympique; mais les locaux du stage étaient distants de 2 km de la MC. La séparation entre spectateurs et stagiaires était donc réalisée jusque dans l'espace géographique, cependant que la survie la plus élémentaire leur était commune. Et tout était fait pour que les stagiaires copient simplement, en plus débile, ce qu'ils verraient au festival. Il importait donc de déblayer le terrain à leur créativité, et ce fut fait par diverses mesures. D'emblée, on monta une expédition à Bugey 01, qui devait se réaliser 2 jours plus tard à 100 km de là. On se mit à combattre énergiquement toute tentative de programmation, scénario, sujet, technique, etc, et on encouragea affectivement tout projet pouvant mener à la dérive permanente. Psychodynamiquement, on lança un cirque de comportements visant à exacerber l'antinomie plaisir/angoisse. Enfin, on fit installer tout un matériel de sonorisation des films (qui, sans cela, auraient été muets). La présence du festival était là pour constituer un adversaire tangible, et empêcher que l'énergie ainsi dégagée se retourne contre ses émetteurs. Finalement, sur 20 équipes, 5 se constituèrent en groupes de dérive et d'exploration psychogéographique. Entre ces groupes, la pellicule fut mise en commun, et le montage s'effectua collectivement dans la grande salle du Palais de Glace, les tables de montage étant disposées en arc de cercle face à un écran où aboutissait un projecteur 16mm double-bande et une installation de sonorisation variable sommaire. Les stagiaires pouvaient ainsi, en levant le nez, examiner les produits des autres groupes, les leurs propres, tout ce qu'il passait par la tête à n'importe qui de projeter, se passer de la musique, etc... Il était possible ainsi de manipuler le matériau en tous sens, d'expérimenter et de retenir les constructions les plus intéressantes; et qu'on prît de telles libertés ne manquait pas d'inquiéter et de troubler les 15 équipes restantes et les organisateurs.

                En même temps que cette phase finale démarrait, les interventions sur le festival lui-même augmentèrent, et finalement il fut exigé et obtenu que l'ensemble (et non "les meilleurs") des produits du stage soit projeté au public le soir de clôture du festival; les gens de l'IDHEC assurant la sonorisation de l'ensemble de ces produits. Il se vérifia là une fois de plus que le son d'un film est déterminant dans la construction de son sens, et certains rigolèrent beaucoup, jusque dans le public; les organisateurs, moins.


                Il était évident qu'une telle opération représentait la synthèse en actes des expériences de la COOP, de l'IDHEC, du Pyla. Elle étalait au grand jour la contradiction entre producteurs et spectateurs, et donnait au prolétariat l'occasion, pour quelque temps, d'arrêter le spectacle et d'expérimenter son existence en actes. Plusieurs opérations du même style, montées par nous-même, et dont l'IDHEC, alléché par l'espoir d'une nouvelle jeunesse, finança en partie la première, quoique moins amples, vérifièrent exactement la pertinence du modèle de Grenoble. Rien de ce qui touche au spectacle ne peut désormais l'ignorer.




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                Fin 71, une nouvelle promotion était entrée à l'IDHEC. Le système de présélection par dossier était déjà en place, et il semble avoir réussi à éliminer les gens à la créativité trop incohérente; il ne semble pas opposer de barrage sérieux aux capacités auto-organisatrices, Dès son entrée à l'IDHEC, cette promotion, pratiquement sans rapports avec les précédentes, se vit affligée de moniteurs permanents et d'un programme pédagogique: elle ne put se prévaloir de précédents qu'elle ignorait, ni exiger de faire ce qu'il lui plairait, car elle n'eut pas le temps de le savoir. La députation était comme d'habitude tenue par l'AJS. Il fallut donc attendre mai 72, pour qu'une crise éclate.

                Les raisons de cette crise sont classiques. L'ennui suintait dans les couloirs; des menaces de mise a la porte ("dans leur intérêt") pesaient sur ceux qui, sans parapluie, avaient salopé les exercices, ou s'étaient abstenus d'y venir. Les anciens s'occupaient de leur film, et les technopols, 4 opérateurs organisés depuis 71 en une lucrative maffia, essayaient de priver les autres opérateurs, surtout ceux du groupe Métro de leur diplôme, afin de "revaloriser" le leur. L'éventualité que l'IDHEC, transféré à la campagne chez l'ORTF, se résorbe dans la Formation Professionnelle Spectaculaire d'Etat, chatouillait désagréablement les fantasmes aristocratiques de certains. Les dérogations constantes de l'administration à la transparence budgétaire viraient au délire pur et simple: ce à quoi on avait droit soit par usage soit par accord, il fallait quémander indéfiniment pour l'obtenir, et cela vous était accordé finalement comme une aumône. Daquin, paralysé dans son rôle, était impuissant. Là-dessus revint en scène le GdR.

                En mai, le montage du Pyla était terminé. Comme les autres produits du GdR, il était résolument en dehors de la production courante de l'IDHEC; mais non insignifiant pour autant. En même temps que son auteur réclamait son diplôme, arguant des accords passés, de ce que le film était maintenant terminé, de ce qu'il était un des seuls financièrement sains, etc, il le projeta plusieurs fois à l'IDHEC. Un certain nombre d'élèves prirent parti pour lui. Simultanément, l'autre ancien du GdR obtint son diplôme après un entretien confidentiel avec Schlossberg; mais cet événement discret fut bientôt connu de tout l'IDHEC. En même temps, les élèves sortants se mirent aussi à réclamer leurs diplômes. L'argumentation tourna bientôt autour de la question suivante: l'IDHEC a supprimé la section réalisation, et l'a remplacée par une doctrine de polyvalence et une séparation pratique entre monteurs et opérateurs; il convient donc que tout le monde ait son diplôme de réalisateur d'office, plus le diplôme de la spécialisation qu'il a subie. Et les élèves de première année devant se spécialiser à la rentrée, il y eut également de bons moments dans leurs AG: on se mit à y reparler du GdR, occulté depuis 2 ans, de l'accroissement des budgets pour travaux personnels, de l'improvisation et de la programmation, etc. Finalement, après quelques aléas, la promotion 69 et l'avant-dernier du GdR obtinrent le double diplôme peu avant fin juillet. Quant à la question de la programmation et de la spécialisation pédagogiques, elle est officiellement réglée, mais nul ne peut savoir comment elle sera reçue à la rentrée. Décidément non, la normalisation à l'IDHEC n'a pour le moment ni réussi, ni échoué.






ASSEMBLEE (GENERALE)

                La pratique des AG à l'IDHEC date de 69. Au début, elles étaient à peu près générales, en ce sens que tous les élèves y participaient. Mais les bureaucrates divers manipulaient en tous sens; un jours, des "représentants du syndicat" vinrent même annoncer dramatiquement que la survie même de l'Ecole était mise en danger par certains trublions, et que s'ils n'étaient pas réduits au silence, le syndicat retirerait son appui aux élèves. Malgré les efforts des "hippies", puis du GdR, jamais l'AG ne fut souveraine et décidée à se faire respecter; jamais elle ne contrôla ses délégués, qui dégénérèrent en "représentants". Il n'y a plus actuellement que des AG bidon, réunies année par année, où les élèves viennent entériner des décisions déjà prises ailleurs (cette procédure fut mise en échec pour le "contrôle des connaissances" au printemps 72; les moniteurs expliquèrent alors que de toute façon, la décision était déjà prise). Il n'est pas sûr que les événements de mai-juin 72 suffisent à renverser cette tendance. Il faut également noter que l'AG ne s'est jamais étendue jusqu'à comprendre aussi le personnel de l'IDHEC (machinos, électros, etc). Les engagements et décisions prises en AG n'ont jamais encore été beaucoup respectés par l'administration, sauf quand il existait un compte-rendu écrit et signé.




BRY SUR MARNE

                Les conditions dans lesquelles l'IDHEC s'installa au Ranelagh n'ont jamais été très claires. Les locaux ne conviennent guère à une école selon la perspective du pouvoir: ils obligent à sortir en ville. Comme d'autres grandes écoles de petits cadres, l'IDHEC va donc s'installer loin de la Ville, dans des locaux loués à l'ORTF. Cette opération, si elle se déroule conformément au programme, sera sans doute accompagnée d'articles de presse redressant l'IDHEC sur son ancien piédestal; et les années de fonctionnement inavouable seront ainsi escamotées. Que l'IDHEC disparaisse dans l'ORTF n'est pas forcément à rejeter, car ainsi les alibis pseudo-artistiques, petit-bourgeois, dinosauriens, n'auront plus cours, et la prolétarisation sera irrécusable. On peut aussi se demander quelles seront les conséquences de la réunion en un même lieu de l'administration et du centre technique: contrôle directionnel accru, ou séquestration?




BUDGET

                Le fric provient de l'ORTF, des Affaires Culturelles et du CNC, à raison d'environ 1/3 pour chaque; le total avoisine 3 000 000 F. L'IDHEC étant une association 1901, le directeur gère le budget, et en est seul responsable: il attribue à qui lui plaît. Organisation du détournement et détournement de l'organisation sont les deux mamelles du monstre. Il existe aussi des coureurs de fonds, souvent organisés en équipes de relais, telle cette fameuse maffia d'opérateurs dont les records ont amené la promotion 69, réunie en AG, à exiger que cessent les entrevues personnelles et discrètes avec la direction. Celle-ci, qui sait que la survie n'a pas de limites, les fit recommencer peu après.




CONCOURS

                Dossier ou pas dossier, le concours a jusqu'à présent laissé régulièrement passer 25% d'indésirables. Le problème n'est pas qu'ils existent, mais qu'ils arrivent à se reconnaître et à se faire reconnaître comme tels. Voulez-vous être indésirables avec nous? Il suffit de considérer le concours non comme une barrière, mais comme de la dynamique de groupe à manipuler matériellement. Il a été récemment proposé d'ouvrir le concours aux non-bacheliers, sous réserve qu'ils présentent 16 mois de bulletins de salaire, la deuxième mesure annulant évidemment la première. La petite enquête policière que l'on vous a demandé de remplir cette année est un retour aux méthodes d'avant 68, et un premier pas vers les lettres de cachet ou de recommandation. On peut aussi se demander à quoi aboutirait un concours organisé selon la forme des stages dont il a été question précédemment.




DISCIPLINE

                A refuser absolument. Elle n'a jamais existé jusqu'à présent qu'en tant qu'auto-censure de plus en plus envahissante, et sous la forme de tentatives d'intimidation écrites ou verbales. Céder à l'intimidation, c'est créer un précédent. Rappelons que jusqu'à présent et depuis 68, personne n'a été viré en cours d'année, et personne ne s'est vu supprimer sa bourse. Et que c'est seulement par désintérêt personnel qu'une seule personne est encore actuellement privée de son diplôme. Par contre, les exemples de tracasserie, de manque à la parole donnée, de brimade, sont innombrables. Il est indispensable et facile, mais très excédant, de les contrer tout de suite, en y opposant des projets sans faille et des argumentations en béton armé.




DIFFUSION

                L'IDHEC est une école prestigieuse; seuls l'intéressent, et sont favorisés, les films à l'usage des festivals d'écoles mondiaux. Les "hippies", le GdR, ont volontairement laissé l'IDHEC occulter leurs activités, cependant que Métro, largement récupéré, fut expédié à gauche et à droite. Avec les nouvelles possibilités d'agitation et l'alternative où se trouve l'IDHEC, tolérer cette occultation n'est plus de mise.




EMPLOI

                Jamais plein. Il est inutile de s'inquiéter du diplôme et de sa valeur car il ne sert à rien, sinon a entrer à la TV, et il ne s'agit pas de le mériter, mais de le prendre.




FILM DE FIN D'ETUDES

                Non déterminant pour l'attribution du diplôme. Les moniteurs pour la réalisation de ce film ne sont pas payés sur le budget du film, mais directement par l'IDHEC; il s'ensuit que nombre de technopols ou d'artistes s'offrent, sous le couvert de "moniteurs", une véritable équipe technique professionnelle, dont le prix de revient aboutit à doubler ou même tripler le coût nominal du film. Les dieux sont morts, mais il reste encore à tout se permettre.




OUVERTURE

                L'IDHEC est une bulle en plastique: comme un hôpital psychiatrique, c'est un "milieu protégé". Comme un hôpital psychiatrique, la seule façon de s'en servir est de l'ouvrir. En 69-70, l'IDHEC était ouvert jour et nuit, n'importe qui pouvait venir y faire n'importe quoi, le champ du spectacle étant suffisamment large pour toujours trouver un prétexte de couverture. La réouverture de l'IDHEC est une condition nécessaire du plaisir d'y vivre. Moyennant quoi, on pourra y mener une auto-thérapie appuyée sur des moyens matériels conséquents, et répercuter les avantages sur cour qui pour une raison ou une autre en ont été écartés.




POLYVALENCE

                L'idéologie de la polyvalence, affichée par l'IDHEC pour affirmer son statut face à Vaugirard et alia, a déjà conduit au double diplôme pour tout le monde. Ce n'est pas suffisant. La polyvalence affichée n'est qu'une mosaïque de techniques parcellaires, non maîtrisées. Il est certes difficile de zoomer et de panoramiquer en même temps sur une voiture en mouvement, mais qui a envie de se livrer à ce genre d'exercices, et dans quels intérêts? Le maniement d'armes a toujours été une méthode d'abrutissement militaire bien connue, et la lente reconstitution d'un corps professoral permanent n'arrange rien. Récemment encore, on avait le droit de se constituer en groupes affinitaires, et de réclamer pour moniteur qui on voulait. Mais il n'est pas fair-play de se servir de son homosexualité refoulée pour éliminer un moniteur encombrant.




PROFESSION

                Instance fantôme, invoquée par les prestidigitateurs pour détourner l'attention de leurs manipulations. Le type même du professionnel est le Chef Opérateur, individu qui "fait la lumière" partout où il n'y a rien à voir. Il isole des Objets-En-Soi, et croit avoir tout fait, alors qu'il y a généralement un monteur qui vient derrière et qui peut dialectiser tout ce que l'autre avait auparavant réifié. Le monteur est donc l'être le plus évident et le plus caché du cinéma. Comme le Pape, le Chef-Op est infaillible: Si quelque chose foire, c'est toujours la faute des prolos du labo ou des sous-fifres. L'IDHEC sert d'ailleurs de foire aux sous-fifres pour certains Chef-Op. L'archétype du Chef-Op domine également le Syndicat, qui le considère comme un travailleur comme les autres. Effectivement, même le chef du NKVD possède un salaire et une fiche de paye. A part ça, il nous est arrivé de rencontrer des professionnels sympathiques dans un boui-boui arabe du XIVème.




SEXUALITE

                Ceci n'est pas le rapport Kinsey.




SON

                Ne s'écrit pas. La décadence du son à l'IDHEC est liée au professionnalisme: les droits d'auteur coûtent cher, et quand il y a besoin d'une tranche de musique, il existe des spécialistes appelés "compositeurs". Tout ce fatras peut être aisément réduit au silence avec quelques magnétophones multi-pistes et un peu de bricolage. Et 18 heures sur 24, France-Culture s'adapte également à tous les films. Il y a une épreuve-son au concours de l'IDHEC.




TECHNIQUE

                Plaque tournante pour les locomotives de l'hystoire. Organisation de l'absence et présence de l'inorganisation. Fosse commune des hommes-machine.
      Qualité technique: la pine up de l'empereur.




TECHNIQUES

                Au cours de ces quatre années, les gens des différents groupes évoqués ci-dessus ont mis au point un certain nombre de techniques et de méthodes qui leur sont propres. Essentiellement non-verbeuses et non-programmatiques, il ne convient pas d'en donner ici une idée, sauf à citer quelques mots-clé: improvisation, rencontres aléatoires, inter(ré)actions de groupe(s), les films comme simple partie d'une praxis non- et même anti-spectaculaire. Si une préférence très nette est accordée au matériel léger 16mm, c'est parce qu'il est plus maniable par une personne isolée. Mais le matériel 35mm est tout aussi détournable par un groupe, et on a vu des films fascistes réalisés en 16mm léger, avec surimpressions, temporalisation par matrice musicale, et tout et tout. Ces méthodes entraînent généralement le mépris des gens qui se veulent professionnels, et se prétendent techniquement qualifiés; mais ce mépris se change en hargne et en peur quand on menace leur monopole du matériel lourd. Et c'est là un spectacle bien plus drôle que tous les defunès ou michelaudiard que ces gens ambitionnent de tourner.




UNION (DE LA GAUCHE)

                Les nouveaux dinosaures marchent dans les chaussures des anciens.








SI ON VOUS DEMANDE CE QUE VOUS PENSEZ DE CE PAPIER,

REPONDEZ QUE VOUS NE L'AVEZ PAS LU.