DUPLICATUM D'UNE LETTRE

 
Paris, 12 Juin 1972

Alain MONTESSE
c/o IDHEC - Centre technique
5, rue des vignes
75 PARIS XVI



Cher Monsieur Schlossberg                



        Ainsi que vous vous le rappelez sans doute, nous avions tenu une conférence à mon retour à Paris (Sept 70), après le tournage du Pyla; conférence à laquelle assistaient vous-même, Louis Daquin, Mlle Nicolas, et moi-même. Il avait alors été décidé, vu les circonstances, que l'IDHEC m'abandonnait tous les rushes du Pyla, à charge pour moi d'en tirer quelque chose. J'ai l'honneur de vous annoncer que ce montage est désormais terminé, que j'en tiens le produit à votre disposition, et que je demande à ce que la fin de mes activités à l'IDHEC soit sanctionnée par le diplôme de réalisation-montage.


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        En ce qui concerne ce diplôme, il avait également été décidé, lors de cette conférence, que je monterais un autre film. Ce film a bien été terminé (il s'agit d'USS), mais vous l'avez immédiatement retiré de la circulation, et vous m'avez envoyé une lettre (ADM/LS/CE-2640, 6-XI-70), déclarant qu'il ne serait pas "équitable" de me donner mon diplôme. Dans cette lettre, il n'était nulle part question d'USS, que vous aviez pourtant qualifié en privé de "prestigieux travail de laboratoire".

        J'espère, en discutant le contenu de cette lettre, faire clairement apparaître qu'il y avait là quelque injustice. Malheureusement, j'étais déjà loin à cette époque, professeur de mathématiques, et hors d'état de demander réparation. Je tiens à souligner que, plus tard, après que vous m'ayez abandonné USS, je l'ai fait projeter ici et là, et qu'il a toujours fortement éveillé l'intérêt du public.


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        Dans ADM/LS/CE-2640, est seule en cause l'affaire du Pyla. Vous m'y reprochiez de ne même pas savoir "ce que recelait la pellicule impressionnée". C'était vrai à l'époque, ce ne l'est plus au bout d'un certain temps; et les rushes ont parfaitement confirmé ce que j'en attendais: ils étaient tout à fait montables.
        De plus, je ne sache pas qu'un réalisateur travaillant selon des méthodes plus conventionnelles que les miennes sache davantage "ce que recèle la pellicule impressionnée", du moins avant de l'avoir vu. Et si le premier axiome du manageering est qu'on doit choisir ses hommes, mais s'abstenir d'intervenir dans leurs affaires, alors, ma présence permanente n'était nullement nécessaire pour que ces gens fassent ce que j'attendais d'eux qu'ils fassent.


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        Vous m'y reprochiez également les conditions "douteuses et déplorables" de production, de préparation et de tournage du film. Elles n'étaient pas douteuses, elles étaient explicitement expérimentales. Et croyez bien que j'en déplore autant que vous le (demi) échec. Car ces gens, qui ont montré sur le terrain d'étonnantes aptitudes au maniement d'un matériel délicat pour lequel ils n'étaient point formés, se sont ensuite totalement désintéressés du montage. Pourquoi?? Ce n'est pas ici le lieu d'en discuter trop longtemps, mais les quelques stages d'initiation à la réalisation cinématographique, organisés l'année dernière avec l'aide de l'IDHEC à Grenoble, Nice, Fresnes, et auxquels j'ai participé ainsi que Stan Neuman, ont fourni quelques éléments de réponse. Et l'expérience du Pyla a été irremplaçable pour la réalisation de ces stages.


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        Donc, maintenant, le film est là. Avec un an de retard, certes, mais vous n'êtes pas sans savoir que j'ai dû redevenir enseignant pour survivre. Toute l'affaire du Pyla m'avait plongé dans un écoeurement dont je ne sors que depuis peu. Je ne mentionne que pour mémoire la séparation d'avec ma femme, et les conditions proprement aberrantes (mixage 6,25, etc.) à travers lesquelles j'ai néanmoins réussi à conduire l'opération entière à son terme.

        Bien sûr, ce film est le reflet de ses conditions de réalisation: la technique est souvent négligée au profit d'une expression parfois très crûe, d'autres séquences n'ont d'autre intérêt que psycho-entomologique. Et l'ensemble est plutôt incohérent. Par respect envers les gens qui ont choisi d'inscrire tel, tel ou tel élément sur la pellicule, j'ai tenu à ce que soient représentées dans le produit fini toutes les tendances qui se sont manifestées sur le terrain: un de ces jours, mon honnêteté me jouera des tours. C'est pourquoi je demande que soient considérées non seulement la valeur spectaculaire actuelle de ce film (certainement non nulle, car il s'inscrit dans un créneau quasiment inoccupé en France), mais aussi les intentions qui le sous-tendent, et la cohérence des méthodes employées à cet effet.

"Separate, purify, reunite. The formula of Ars Magna, and its heir, the cinema."
                                        (Jim Morrison)


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        Un dernier détail: le bruit court parfois, dans les couloirs de l'IDHEC, que je suis inapte techniquement, et escroc de surcroît. C'est une calomnie. Je suis prêt à me laisser examiner par des techniciens dont le sérieux est hors de question, comme Messieurs Huhardeaux, Tesseire, Alekan, ou Mlle Poitevin, afin qu'ils déterminent si, oui ou non, mes connaissances techniques et mes capacités pratiques sont du niveau requis. Quant à l'accusation financière, qu'il me suffise de rappeler que je suis l'une des très rares personnes à être resté très exactement dans les limites du budget prévu, alors que d'autres s'offraient des dépassements de l'ordre de 100% ou plus. Non seulement tout l'argent dépensé par l'IDHEC a été justifié, mais encore la plupart des participants à l'opération en ont été de leur poche; Monsieur Moutel se rappellera certainement que l'ensemble des factures rapportées excédait de 1000 ou 2000 F la somme avancée par l'IDHEC, et encore n'y étaient-elles pas toutes. Finalement, il serait intéressant de savoir si la loi administrative bien connue selon laquelle le meilleur moyen d'obtenir des crédits supplémentaires est d'avoir déjà réalisé un bon dépassement, s'applique également aux travaux d'élèves.


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        Voilà. En espérant que vous voudrez bien me répondre bientôt, et en vous signalant qu'il me conviendrait assez d'avoir ce diplôme assez vite, afin de pouvoir travailler pendant les vacances et rembourser quelques dettes d'honneur, je vous adresse, Monsieur, mon meilleur souvenir et mes sincères salutations.


Alain Montesse